Oui : le Kairos dans le chaos

Oui nasal lapid

Pour son 12ème film-toutes durées confondues, le réalisateur israélien Nadav Lapid revient avec une ode puissante au OUI et à la vie. Le synopsis ? Un couple israélien élèvent leur enfant dans une société qui court à sa propre perte et en proie aux massacres du 7 octobre dont c’est le triste 2è anniversaire. Y, le protagoniste, musicien, a décidé de se donner corps et âme aux puissants pour les divertir, dans l’espoir d’accéder à la gloire et à la richesse : il met en musique un hymne patriotique aux accents génocidaires, ce qui a évidemment un retentissement sur sa vie de famille et son couple.

Oui à la décadence et l’esthétique lapidiennes

Parce qu’il met toute sa fantaisie et sa liberté dans ses films, le réalisateur n’y est pas allé de main morte dans la décadence. Plan à trois avec léchage de lobes d’oreille (et cette sublime réplique « je mouille du lobe »), incarnation au sens propre -heureusement les chaussures l’étaient aussi, du « léchage de bottes » en mode human centipède avec le faux Trump en tête. Certaines scènes sont caméra à l’épaule, on nous malmène et on adore ça. D’autres sont dans un tourbillon, et on a alors l’impression d’avoir pris quelque(s) substance(s). La musique de La bouche, be my lover, n’aide sans doute pas à rester calme, fût-elle suivie d’Elvis Presley. La version techno de Las Ketchup en intérieur jour dans l’appartement du couple est assez intense également.

L’image de Lapid est léchée : les plans sont impeccables, la photographie est assez sublime et on sent toute l’âme du réalisateur qui n’a plus rien à prouver à qui que ce soit, et continue pourtant de nous faire rêver.

Oui nadav lapid scène

Y. après Y. : Oui après Ahed ?

Si on peut le percevoir comme une suite logique du Genou d’Ahed, Grand Prix du Jury à Cannes en 2021, c’est avant tout par sa progression vers une acceptation de la beauté dans un monde de plus en plus insensé et cruel en général, Israël en particulier.

Autre point non moins anecdotique, le protagoniste de Oui s’appelle Y. tout comme dans Le Genou. Y. ne serait-ce finalement pas Nadav Lapid, ou du moins son avatar jeté dans cette catharsis qu’incarnent ses films ?

Le film a d’ailleurs été tourné en pleine guerre, alors que des missiles tombaient autour. (…) On se pose alors inévitablement la question suivante : Combien de gens sont morts depuis qu’on a tourné la scène ? (Nadav Lapid, au micro de France Inter chez Sonia Devillers).

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Oui à la beauté des choses… dans l’horreur

Par son intention universaliste, Oui entend célébrer la beauté du monde malgré la guerre et une réalité israélienne dramatique qu’on ne peut ignorer, et surtout pas, encore moins son réalisateur. La scène du film qui a sans doute trouvé le plus court chemin vers mon coeur est celle du trajet à vélo de Y avec son fils, Noah, le long du bord de mer, le soleil couchant. Il lui dit de dire oui à toutes les belles choses du monde. La transmission est fondatrice, et donne un sens à vouloir faire des enfants dans un monde comme celui-ci, alors même que le réalisateur s’attend à accueillir son 2è enfant… et que dans le film comme dans la vie, son fils Noah est né le 8 octobre… Tout est dit.

L’hymne patriotique que doit composer Y. est le détournement d’un hymne fondateur de l’Etat d’Israël, aux paroles réécrites sous des accents de vengeance génocidaire. La chanson a été chantée par des enfants dont le visage a été flouté dans le film : les enfants incarnant non pas une forme de pureté mais le futur du pays.

Il existait dans mes films précédents le fantasme que grâce aux poèmes d’un enfant, ou aux cris d’un homme, l’écart qui existe entre le monde dans lequel nous vivons et celui dans lequel nous devrions vivre allait se réduire, ou s’anéantir. (Nadav Lapid)

L’horreur du 7 octobre est évoquée par le personnage de Lea (Naama Preis), qui incarne une traductrice et amie de longue date de Y, amour déçue, aussi. La scène est sans doute l’une des plus puissantes du film et la comédienne livre une partition époustouflante, à bout de souffle, à couper le souffle, aussi.

Oui à l’Homme et à l’instant présent

Le kairos est comme une occasion à saisir, comme un passage à l’action. Dans la mythologie grecque, il prend la forme du petit dieu ailé de l’opportunité, celui qui nous survole et qui ne demande qu’à ce qu’on lui tende la main pour l’attraper, comme pour saisir le moment de passer à l’action. C’est précisément ce que cherche Nadav Lapid à travers Oui, mais aussi, les héros qui traversent ses films. Le moment présent, être présent à soi, être l’homme du présent : tout ceci se confond et ne fait qu’un.

Oui aux femmes puissantes

Difficile de ne pas qualifier le film de féministe : dans ce film, les femmes sont puissantes à commencer par Jasmine (l’irradiante Efrat Dor), mais aussi Lea (Naama Preis). Elle se prennent en main, voire d’autres vies que la leur et qui dépendent d’elle, pour celle qui incarne la mère de Noah mais n’est pas la sienne dans la vraie vie. Si Ahed parlait de la mort de la mère, Oui aussi. Parce que le cinéma sert aussi à réparer…quand ça peut l’être.

Sources :

France inter, émission de Sonia Devillers

Dossier de presse, propos recueillis par Olivier Père le 3 mai 2025

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