Rudy Milstein : héros malgré lui

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Premier long métrage de Rudy Milstein, Je ne suis pas un héros est un de ces films hybrides dont on se délecte tant ils sont iconoclastes. Comédie noire sur le thème du cancer, le réalisateur a entendu donner raison à l’adage stipulant qu’on peut rire et faire rire de tout. Rencontre un mercredi d’automne ensoleillé, pile une semaine avant la sortie en salles.

Crédit photo : Ingrid Mareski
  • Rudy, quel est ton parcours ?

J’ai toujours voulu faire ça. J’avais envie de jouer, pour autant je n’ai pas la rage de me dire que je veux tout jouer, incarner des rôles de composition.  Je veux juste faire des choses qui m’amusent. Quant à l’écriture,  c’est ce que j’aime le plus au monde.

Disons que je n’étais pas trop nul à l’école donc j’ai eu le couteau sous la gorge des parents pour faire des études : j’ai fait 2 ans de prépa : intellectuellement parlant, c’était galvanisant. Puis je suis entré en école de commerce – aucun intérêt pour moi étant donné que je ne comptais pas en faire mon métier même si j’ai encore plein de potes qui y sont passés. C’est dans la pub que je me suis ensuite spécialisé et contrairement à bon nombre d’artistes, je sais qu’il faut marcher avec eux et je ne les considère pas comme « des ennemis ». En parallèle de mon école de commerce, j’ai pris des cours de théâtre. Je n’ai pas voulu passer les concours mais mettre en scène des pièces avec des potes. Ma grande chance ça a été d’intégrer la troupe de Palmade : très vite il a mis sa notoriété au service des autres.

(Evidemment on a mentionné ce qui s’est passé depuis mais là n’est pas le propos).

Personne ne nous faisait confiance et lui, grâce à son nom, il nous a ouvert des portes. Bien qu’il eut ses démons, il a toujours eu l’élégance de ne jamais m’y inclure. On a créé des sketches avec entre autres Camille Cotin, Anne-Elisabeth Blateau, Nicolas Lumbreras, Johann Dionnet (qui joue dans le film)...

 

  • Rares sont les personnages aussi intéressants au cinéma : dans ton film, ils ne sont ni tout à fait ceci ni tout à fait cela

L’avantage de faire des années de psychanalyse : ça te force à te mettre à la place des autres et comprendre qu’ils n’agissent pas contre toi. D’ailleurs, Agnès Jaoui a récemment dit « les auteurs devraient faire de la psychanalyse » !
J’estime qu’il n’y a pas de méchants, pas de gentils : on est tous dans le même bateau, à tenter de gérer notre propre mortalité comme on le peut. On a tous un millier de couches.
Si on s’intéresse au personnage de Clémence Poésy : elle bosse énormément, mais quand on gratte on se dit qu’elle a des failles  ; Celui incarné par Géraldine (Nakache) : elle présente très mal, elle ne sait pas s’exprimer mais dans le fond elle a toujours raison
Quant à celui de Vincent (Dedienne) :  il est très gentil : mais on le prend pour un con ; on ne le respecte pas.

Je m’inspire de gens mais je les décale pour ne pas avoir de procès : ma mère par exemple m’a largement inspiré.
Isabelle Nanty qui l’incarne, met de l’humanité et de l’empathie partout, que ce soit dans la vie ou dans les films : elle est sur les autres : en réalité elle joue comme elle est dans la vie.

Je veux vraiment qu’on arrive à comprendre les personnages : pourquoi ils agissent comme ça.
Si on me dit il faut que tu sacrifies ta carrière, tes projets et ta vie personnelle pour une grande cause : j’espère que je le ferais mais en serai-je capable ? Rien n’est loin sûr…

Crédit photo : Delante Production - Nolita Films
Crédit photo : Delante Production – Nolita Cinéma
  • Comment est né le film ? De l’idée de départ jusqu’à sa distribution ?

Ça fait dix ans que je le pense seul ou avec la prod alors dès lors qu’on partage la réception du public c’est un petit miracle et un total alignement des planètes !

En effet, en 2013 j’ai eu cette idée, le jour de la mort de Valérie Benguigui (que je ne connaissais pas mais que j’adorais) : je voulais associer le cancer à un objet de comédie.

Mon frère a déjà eu le cancer, « un petit cancer, un cancerounet  » comme il disait (thyroïde)… Mon frère a eu un cancer dont il s’est sorti, ma grand-mère en est décédée mais elle a toujours pris le parti d’en rire, allant jusqu’à soulever sa perruque pour saluer les gens quand elle arrivait à une soirée, parlant également de son cancer en phase terminale quand des inconnus lui demandaient si ça allait (en l’occurence un date épouvantable qui ne parlait que de lui).

Le personnage de Julien (incarné par Rabah Nait Oufella interviewé juste ici) c’est un pote qui est mort à 31 ans : il voulait organiser des fêtes, il était très solaire. Quand mon frère étaient atteint du cancer, tout le monde était obséquieux avec lui, or il nous rétorquait qu’il vivait avec la mort et que c’était juste insupportable de lui rappeler qu’il était mourant quand on s’adressait à lui.
J’ai aussi fait le film pour m’éduquer moi : pour parler à des gens qui sont malades.
En atteste le personnage de Corinne qui incarne toutes les maladresses : ces phrases toutes faites de coaching de vie  type « il faut garder le moral ».

Toujours en 2013, j’ai rencontré Caroline de chez Delante Productions  : je devais l’écrire mais pas le réaliser, or je n’arrivais pas me mettre d’accord avec les réals pressentis, que ce soit sur le ton, l’esprit… Grosso modo les gens ne voulaient pas faire rire avec ça et ça partait dans le pathos. Or j’adore le cinéma ultra populaire : j’avais envie de faire une comédie mais avec des choses dessous.

Alors en 2016/17 j’ai choisi de le réaliser ! Nolita est rentré à ce moment ; à partir de là ça a été assez vite dans l’écriture : j’ai travaillé à Théo Courtial sur la structure et en 2019 Gaëlle Macé est venue verrouiller certains arcs narratifs, vérifier les dramaturgies : ce sont deux scénaristes brillants. Ensuite tu pars en financement, avec le casting : c’est allé très vite pour cette partie. Paname distribution est naturellement venu en bout de chaine.

Pour autant, on a eu du mal à le financer  à cause du sujet : le cancer.
On était l’année du Covid, on nous disait « le cancer n’est pas la priorité des spectateurs, on peut pas faire une autre maladie, genre Sida ? » (au secours !! ndr)

  • Dans ton film, certains personnages dits secondaires sont des génies de comédie (Sébastien Castro)… A commencer par celui que tu incarnes !

Merci beaucoup pour mon personnage, celui du bout de bois (Il est ainsi à la suite d’un AVC qui l’a rendu totalement opaque à toute émotion, ce qui est évidemment une pépite de comédie en termes de situations). 

Quant à Sébastien Castro, c’est un génie comique : dans le regard, le rythme ou la voix. C’est un immense acteur  ; dans les années 70 ou 80, il aurait été une grosse star comique, il mérite tellement plus de rôles de comédie pure et je ne comprends pas pourquoi il n’en a pas davantage.
Idem pour le perso de la juge : Marie-Sohna Condé  ou encore, celle qui incarne la fameuse Corinne, Anna Cervinka (de la Comédie Française), ce sont deux immenses comédiennes.

  • Tes personnages sont très incarnées et caractérisés, comment as-tu réussi à rendre visible l’invisible  ?

Je voulais que le personnage de Géraldine ait une mèche blanche, du poil sous les bras : en ce qui concerne la mèche, c’était la manifestation d’un trauma sur son corps. L’une de mes amies a eu un cancer et quand ses cheveux ont repoussé, elle était bouclée alors qu’avant cela, ses cheveux étaient raides.
Quant aux vêtements de Géraldine, je voulais qu’elle ait une multitude de couches pour mieux se protéger du monde extérieur et faire ainsi barrage.  Vincent, lui, je le voyais avec son polo et son sac à dos dans un premier temps avec ses tics, ses maladresse et lorsqu’il prenait du galon, il passait alors en costard de Fursac. De par mon expérience du théâtre, on a beaucoup travaillé sur le corps.

  • Le mot de la fin ?

Ce qui m’a ému au plus au point et rendu fier lors de toute cette tournée d’avant premières, c’est que certaines personnes ont eu envie de se battre car le film leur a ouvert les yeux. Tout est fait pour décourager des initiatives.

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