Yannik Landrein, la puissance du je(u)

tout va bien série
crédit photo : India Lange

Aux prémisses était le jeu

Lucie : Qu’est ce qui t’a donné l’envie à la base d’être comédien ?

Yannik Landrein : Devenir comédien, c’est choisir d’en faire son métier, et cette prise de conscience m’est venue relativement tard. Mais il y a ce qui m’a porté à aimer le théâtre tout d’abord.

J’ai eu la chance d’avoir eu une super prof de CM1 qui a invité un improvisateur à intervenir régulièrement dans notre classe, et par qui je me suis découvert un goût très fort pour le plateau, la représentation, sans savoir encore ce que c’était, à 8 ou 9 ans.

Plus tard, au collège, j’ai rencontré des difficultés : je n’étais pas très populaire, j’étais un garçon pas très bien dans ma peau. J’étais plutôt rangé du côté des invisibles. Et un jour, j’étais en 4e, un comédien est venu faire passer des auditions, dans le but de monter un petit spectacle à l’école. Il m’a pris, j’ai fait mon sketch devant les 600 élèves du collège ; et du jour au lendemain, le regard sur moi avait complètement changé.

La puissance de la représentation réparatrice et un métier possible

Yannik Landrein : J’ai alors pris conscience de la puissance de la représentation : 15 minutes de plateau avaient renversé l’opinion. J’étais passé de souffre-douleur à bouffon du roi. Les gens m’appréciaient, j’étais devenu celui qui faisait rire. J’en ai usé et abusé, si bien que certains profs m’ont encouragé à faire une option théâtre au lycée.

Ce que j’ai fait. C’est vraiment là que j’ai commencé à ressentir la puissance du jeu, de jouer. C’est aussi là que j’ai rencontré des gens qui voulaient devenir comédiennes ou comédiens. Qui m’ont fait comprendre que ça pouvait devenir un métier. Et l’envie est née.

Mais jouer était d’abord thérapeutique : j’étais très énervé, j’avais en moi une espèce de fureur, de colère… ce n’est pas très original, à cet âge-là… mais je me rappelle que je sautais systématiquement pendant 10mn contre les murs lorsque je rentrais en cours de théâtre.

Regard étonné 

Yannik Landrein : Oui je me jetais littéralement contre les murs !

Lucie : (rires) Je n’aurais pas pensé ça de toi…

Yannik Landrein : Ça m’est passé aujourd’hui… À ce moment-là, j’ai donc d’abord découvert l’acte de jouer, l’espace que ça m’offrait ; ça a été ma 1ère révélation. La seconde a été l’abondance théâtrale, toutes les histoires, tous les personnages, tous les points de vue, manières d’être au monde ; manières de voir la vie, de la dépeindre.

Je m’y suis engouffré avec un plaisir et une gourmandise extraordinaire.

Et là je me suis mis à aimer le théâtre non plus seulement pour ce qu’il me permettait, mais pour ce monde qu’il contenait en soi.

L. : Dimension plus philosophique aussi

Y. L. : Complètement philosophique. Il y a une chose qui m’a frappé tout au long de ma carrière d’aspirant comédien, c’est qu’à chaque fois que je rentrais dans une nouvelle école, on posait sur moi un regard très différent de celui qu’on avait dans l’école précédente. J’avais l’impression d’avoir plusieurs « moi », et que ce n’était pas moi qui le décidais. On me donnait un rôle. Et bien sûr, je jouais le jeu.

Les aléas du Je

Y. L. : Au Conservatoire de Versailles, j’étais un petit jeune dont on pensait qu’il avait peut-être un petit potentiel, puis je suis rentré à l’ESAD (École Supérieure d’Art dramatique de la ville de Paris) à 20 ans et où j’étais quasiment le plus jeune. Je suis devenu le petit gars sympa, le petit frère, le bon copain, et quand je suis rentré au Conservatoire (CNSAD, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique), à 23 ans, pour le coup j’étais parmi les plus âgés. Je suis passé du petit frère marrant pour les gens de l’ESAD que je voyais toujours, au doyen, plus sage, plus expérimenté, du Conservatoire. Je passais de l’un à l’autre, comme ça. Sans parler des autres cercles intimes, la famille… A l’époque, ça me provoquait des petits vertiges existentiels. Je ne savais pas du tout qui j’étais vraiment. Puis c’est devenu un jeu : en arrivant quelque part, j’étais curieux de voir ce que les gens projetaient sur moi, à ce qu’ils s’imaginaient. C’est toujours le cas d’ailleurs.

Des planches aux plateaux de cinéma ?

L. : Tu as bien davantage travaillé sur les planches que sur les plateaux de cinéma : réelle volonté ou hasard des opportunités ?

Y. L. : J’ai longtemps donné ma préférence aux planches car c’est de là que je viens, que j’y prends tellement de plaisir… et c’est vrai aussi que mes premières expériences à la caméra m’ont apporté beaucoup plus d’angoisses que de satisfaction, à l’époque.

Mon 1er film, c’est Populaire (réalisé par Régis Roinsard), j’y joue l’un des frères de Romain Duris.

Sur un autre film, La Monnaie de leur Pièce, le chef op m’a dit cette phrase, qu’il tenait d’un acteur anglo-saxon : « Au cinéma, on est payé pour attendre ; jouer c’est gratuit ». J’ai trouvé ça génial. Depuis, j’essaye toujours de me concentrer sur le plaisir qu’on peut prendre sur les plateaux de cinéma. Et on peut en prendre beaucoup. C’est assez difficile à expliquer, mais ça change réellement le rapport au jeu.

De Yannik à Valmont et inversement

L. :  Est ce que les liaisons dangereuses t’ont donné une belle visibilité ? cf. John Malkovich ! 

Y. L. : Oui ça m’a donné une certaine visibilité, beaucoup de gens du métier sont venus voir la pièce. Maintenant, savoir si ça m’a été profitable, c’est moins évident. Je crois, je me trompe peut-être, mais c’est l’impression que j’ai eue, que beaucoup parmi ces gens s’attendaient, en me rencontrant, à retrouver Valmont. Parce que j’ai parfois perçu une certaine forme de déception au moment du rendez-vous : je ne suis pas Valmont, du tout, dans la vie. Donc les rencontres ne se sont pas toujours forcément bien faites. Pour autant, ils ne me connaissent ni d’Eve ni d’Adam, ils vont à l’Atelier, ils voient un mec qui semble très à l’aise dans ce registre ; ils se disent « il a l’air de ne pas avoir beaucoup à travailler pour être aussi à l’aise ». Tant mieux, c’est la magie du métier : le but ce n’est pas qu’on se dise « ça a l’air difficile pour lui ». N’empêche, les Liaisons ont dû orienter certains regards. En revanche, ça a plutôt bien lancé une carrière théâtrale.

Les-liaisons-dangereuses

Et désormais, tout va bien (?)

L. : Je te propose à présent d’aborder la série… Comment en parlerais-tu ? `

Y.L. : Bien sûr, il y a un point de gravité qui est la maladie de cette enfant, mais je dirais, en quelques mots, que c’est vraiment une série sur la vie, qui parle de la vie, partout où elle se loge, d’autant plus quand il y a la mort qui rôde.

L. : Comment es-tu es arrivé sur le projet ?

Y.L. : J’ai passé des essais, il s’agissait alors de la scène du restaurant, formidablement écrite.

La maladie, moteur des femmes et résilience des hommes

L. : Quid des perso masculin : je trouve qu’ils sont assez maltraités par les femmes de la série.

Stéphane, ton personnage, le pauvre ! Idem pour les autres…

Y.L. : A la lecture du scénario, je ne me suis pas tellement dit cela. Au contraire, ce que je trouve assez beau, c’est la place centrale que Camille (de Castelnau, la créatrice et scénariste de la série) donne à l’expression d’un héroïsme féminin, qui répond avec force et dignité au canon de cet héroïsme masculin développé à outrance. Alors, dans la série, les hommes aussi développent une forme d’héroïsme mais différent, qui est celui du quotidien : comment on essaye de survivre au quotidien quand notre centre de gravité est devenu un gouffre, une sorte de trou noir vers lequel on est irrémédiablement attiré. Ce ne sont pas des gens qui se débattent, montrent les muscles, font du bruit… mais qui cherchent seulement à mettre un pied devant l’autre. Avancer, parce que s’arrêter, même pour gesticuler, c’est déjà un peu laisser la mort gagner. Ce sont je trouve des héros de la résilience. D’ailleurs, de toutes façons, ce ne sont pas eux qui agissent, ou qui maitrisent l’action : c’est Rose, c’est la maladie… l’action principale est invisible. Or, cette maladie a une déflagration telle qu’elle met les femmes de la série en état d’agir et rend les hommes résilients. Je trouve cela brillantissime.

L. : J’ai l’impression que les femmes vivent avec et malgré la leucémie de Rose mais les hommes sont non seulement confrontés à cette terrible maladie, mais aussi aux tourments des femmes de leurs vie… sauf le personnage d’Aliocha.

Y.L. : C’est un lieu commun, mais nous sommes toutes et tous les personnages principaux de notre propre vie, et a priori, dans la série, c’est à peu près pareil. Sauf que tout à coup, Rose et sa maladie deviennent le personnage principal la vie de tout le monde. Instantanément, chacun/chacune se retrouve relégué au second rôle de sa propre vie. C’est très bien représenté dans la relation entre les personnages de Claire (Virginie) et Antonio (Eduardo Noriega).

Le perso principal de la vie de Claire devient Rose, sa nièce. Or elle vit avec quelqu’un, Antonio, qui doit subir d’être relégué au 3è plan. Mais lui aussi, à ce moment, a un personnage central dans sa vie : sa fille, qu’il est peut-être en train de perdre… ce personnage d’Antonio est extraordinaire, il est tout le temps en train d’essayer de comprendre, de s’ajuster.

Quand la psy apprend à Anne (Nicole Garcia) qu’il n’y aura que 3 personnes autorisées à entrer en contact avec Rose pendant sa quarantaine, et que Rose n’a pas souhaité qu’elle en fasse partie, Anne répond « il ne faut pas la mettre au centre de tout, ce n’est pas bon pour elle » et la psy de dire « Qui devrait être au centre selon vous ? » Et c’est exactement ça. Elle s’aperçoit brutalement de la place qu’elle avait, de la place qu’elle prenait, et qu’elle n’a plus.

Les personnages masculins sont donc en effet relégués au 3è plan de la vie des femmes de cette famille, le personnage d’Aliocha mis à part. Mais paradoxalement, notamment pour le personnage de Pascal (Bernard le Coq, le grand-père), ça leur permet de se poser la question du sens, et active la nécessité de reprendre leur vie en main.

Une grande famille de cinéma

L . : Petit clin d’œil au passage sur Aliocha Schneider et Virginie Efira : ils ont dans la série une relation frères et soeurs alors qu’ils sont beaux frères&belles soeurs dans la vraie vie.

Y. L. : Oui, il y avait des choses, une complicité naturelle entre eux, qu’ils n’avaient donc peut-être plus besoin de jouer. Après, même sans ça, ils sont tellement forts…

L. Pour finir, peut-on faire un focus sur Camille de Castelnau, créatrice de la série ?

Y. L. :  Camille est co-scénariste du Bureau des Légendes, avec Eric Rochant.

C’est Eric qui l’a encouragée à créer sa propre série, et il a finalement réussi à la convaincre d’y aller, tout en l’accompagnant (comme producteur et réalisateur des deux premiers épisodes). Eric avait reconnu avant tout le monde le talent de Camille et lui a dit en gros « arrête de te cacher derrière moi». « Tout Va Bien » est largement inspiré de son histoire personnelle, la nièce de Camille a elle aussi été atteinte d’une leucémie, de cette forme rare dont il est question dans la série. Elle a mis un point d’honneur, par souci d’exigence mais aussi je crois par souci de reconnaissance, à ce que tout ce qui a trait à la maladie et aux soins soit d’une scrupuleuse précision. Tout le reste a été beaucoup plus librement interprété. Voilà, on savait déjà que Camille était une brillante scénariste, mais désormais je crois qu’elle met tout le monde d’accord sur son talent de showrunneuse.

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