Saintes ô mères ?

saint omer

Connue pour ses documentaires, dont l’un a été primé aux César, c’est avec une fiction qu’Alice Diop fait une entrée fracassante dans le monde du cinéma. Primé à la Mostra, candidat de la France aux Oscars, Saint Omer s’inscrirait-il dans la lignée du très réussi Les Misérables, produit par la même équipe (Srab Films).

Un fait d’hiver

Inspiré du fait divers autour de Fabienne Kabou, Saint Omer c’est d’abord le lieu d’un procès. Celui qui a vu jugée une mère responsable d’infanticide. Elle a déposé à la mer sa fillette de 15 mois un soir d’hiver, sur la plage de Berck (plage qu’elle a choisie pour sa consonance, à la hauteur du dégoût du crime à venir). Voilà pour les faits.

Le film prend place autour de ce fait divers, jugé dans un procès qui passionne une jeune romancière, Rama, enceinte de quelques mois seulement. Cette femme, Laurence Coly de son nom de fiction, la fascine, à la fois par l’atrocité de son acte mais aussi par son intelligence redoutable.

Alice Diop qui a assisté à ce procès,  le confesse elle-même :

Je n’ai jamais entendu quelqu’un parler comme ça ! La matière documentaire du film, c’est cette langue, c’est la langue de Fabienne Kabou. Parfois je ne comprenais même pas moi-même ce qu’elle disait : “ j’étais dans une gangue sclérosante et anesthésiante ! »

Une femme ensorcelante

Dans ce qui a pu expliquer (et non justifier) son geste, le personnage principal évoque une grande solitude. Car tout le propos du film, « c’est « explorer l’insondable question du pourquoi » (Christophe Barral, co-producteur du film).

D’un point de vue factuel, on évoque durant le procès  sa relation avec  le père de sa fillette, Luc Dumontet interprété par un Xavier Maly d’une ressemblance troublante avec « le vrai » père de cet enfant. Laurence Coly y évoque une relation cachée, de la propre volonté de son compagnon, même si dans ce genre d’affaire, c’est parole contre parole et il est bien difficile d’atteindre la vérité des faits.

On assiste plus tard à un revirement, autour de la sorcellerie : le crime de la jeune femme serait alors expliqué par un envoûtement : elle aurait été victime d’une malédiction, un sort qu’on lui aurait jeté sa famille jalouse.

Cette jalousie pose alors selon moi la question des origines familiales : il s’agit là de mettre en perspective bien davantage la réussite qu’une culture africaine dominante, expliquant alors ce sacrifice ; évidemment c’est un point de vue très personnel.

Un procès capté et captivant

Le film est illuminé par la chef op Claire Mathon, directrice de la photographie du très beau Portrait de la jeune fille en feuEn filmant ce procès, elle parvient à faire naître la lumière des ténèbres, à travers les traits sereins et sublimés de Guslagie Malanda. Le procès est sans doute la partie la plus intéressante du film, et que dire de la plaidoirie finale qui vous arrache les larmes en tant que spectateur ainsi (étrangement) qu’à toute la salle d’audience.

Finalement, le reste du film n’apporte que peu à l’ensemble ou alors de manière frustre, en raison d’un développement sinon lacunaire, en tous cas parcellaire.

Les lacunes d’une narration annexe

A force de montages et de coupes sévères, la relation chaotique du personnage de Rama à sa mère est trop peu développée. On y lance des bribes mais sans aller jusqu’au bout de la réflexion ni même donner un semblant d’explication, ce qui est assez dommage. Aussi, on ne comprend absolument pas quel est le lien entre la mère de Laurence Coli et Rama, aucune clé n’est donnée quant à leur relation et ce pourquoi elles se connaissent.

A contrario, certains plans sont bien trop longs, alors qu’ils ne racontent rien de plus et ne souffriraient pas d’une coupe nette et franche.

Crédit photo : les films du Losange, Srab films
Crédit photo : les films du Losange, Srab films

Les contours du film

Il est dommage de ne pas connaître le verdict final même si bien sûr, nous avons FELAC pour ce faire (Faites entrer l’accusé pour les non initiés). Ce parti pris demeure intéressant : en filigrane, on esquive totalement la condamnation de l’infanticide, comme si c’était évident, pour s’intéresser au cheminement qui ont mené à ce crime.

Fondamentalement, Alice Diop à travers Rama, est fascinée par le personnage de cette mère infanticide. De son propre aveu, elle n’aurait jamais fait ce film si elle n’avait lu cette phrase d’une journaliste du Monde : « Fabienne Kabou a déposé son enfant à la mer » ; évidemment, l’homonymie du mot est ici troublante. on y lit la mer, on peut y entendre la mère. Tout viendrait donc de là…

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