Rencontre avec Eloïse Lang, réalisatrice de « Larguées »

Eloise lang 
Photo libre de droit
Credit Photo : Thomas Lavelle

Par une belle fin de journée d’automne, j’ai rencontré Éloïse Lang, à qui l’on doit la comédie aux 800 000 entrées, « Larguées ». 

Comment tu fonctionnes vis à vis de l’inspiration ?

Je pars d’une histoire que j’ai envie de raconter : je commence par les personnages, ce sont eux qui me dictent une histoire; je travaille énormément sur leur caractérisation et ce sont d’eux que découlent des situations.

Tu as des personnages tellement forts, à commencer par celui de « Connasse ». Comment t’est venue cette idée de personnage autour de Camille Cottin, t’es-tu nourrie des personnages qui t’entourent en piochant dans ce qu’ils incarnaient ?

L’idée m’est venue dans une vision à contre courant de tous les personnages masculins qu’on avait en fiction : le stagiaire, le puceau… J’avais déjà envie d’un personnage féminin fort, puis d’une connasse. Avec Noémie (ma co-auteure), on a établi une charte sur ce qu’était une connasse : on tombait d’accord à chaque fois qu’on proposait un attribut. Je pense qu’au fond, on s’est inspiré de plein de personnages différents, y compris les hommes, sachant que la base du personnage, c’est quelqu’un qui ne doute de rien…

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Noémie Saglio, Camille Cottin, Eloïse Lang

Il lui faut une sacré dose de…testostérone pour assumer de faire ça en caméra cachée

Oui on n’a encore pas trouvé l’équivalent féminin de cette expression. En tous cas, c’était extrêmement courageux de la part de Camille, et au début elle n’avait pas tout à fait voulu comprendre que ce serait intégralement en caméra cachée. On ne trichait pas. Souvent, on trouvait que les gens ne réagissaient pas assez tant ils étaient déconcertés.

Sur un plan cinématographique, quelles sont tes influences ? J’y vois, du Judd Apatow en termes de situations ou de cynisme/de folie chez les personnages qu’on ne trouve pas assez au cinéma français.

Judd Apatow c’est plutôt un compliment. Cynique, je n’aime pas trop car c’est assez négatif. Qu’est-ce que tu entends par là ?

Dans Larguées, je fais référence au personnage de Miou Miou, du moins au début du film.  

Disons qu’ils ont un point de vue et ils se positionnent par rapport à ce qui leur arrivent ; de l’endroit où ils sont, forcément en découlent des comportements. Et c’est vrai que Miou Miou se pose en victime par rapport au rôle de Françoise mais pas passive : elle veut emmerder la Terre entière parce qu’elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Dans le terme de cynique, je vois une position négative par rapport au monde qui entoure ces gens-là, ils n’ont plus le souffle de l’humanité. Alors que là, il s’agit de personnages qui se débattent mais qui veulent toujours aller vers la lumière.

 

Ton parcours le prouve : tu as lâché ton boulot dans la pub ?

J’avais un rêve, celui d’être scénariste et après 10 ans dans la pub, j’ai décidé de me lancer (…) J’ai réalisé que je ne m’épanouissais pas,  car plus tu grimpes les échelons dans ce milieu-là, plus tu passes ton temps à déjeuner avec des clients. J’étais commerciale donc loin de la création. Quand tu es au mauvais endroit, souvent tu n’es même pas bonne dans ce que tu fais. Je me suis dit il faut vraiment que je sois là où j’ai envie d’être, en fonction de qui je suis et de ce que je sais faire.

Tu as suivi une formation pour y parvenir ?

J’ai fait les formations des Américains: MC Key, John Truby. Je crois que j’ai lu tous les livre sur comment écrire un scénario.

Tu as bien fait parce que le résultat est là, indéniablement !

Dans tes films, les personnages sont extrêmement travaillés et c’est plus eux qui font la différence plutôt que la trame scénaristique, qui est très bien par ailleurs.

 J’essaie de ne pas être dans le fantasme, même si je pars de personnages parfois clichés auxquels tout le monde peut se raccrocher. J’aime y mettre plein d’aspérités pour les rendre très crédibles. Il ne faut pas oublier que je viens de la réalité : « Connasse » c’était Camille mais aussi toute une galerie de vraies personnes. J’aime faire une sorte de fiction réaliste. Ce qui m’embête aujourd’hui dans les films c’est que ça n’existe pas des gens comme ça. On se dit parfois « Non, on ne fait pas ça dans la vraie vie ou on ne dit pas ça ». Je recherche un résultat qui soit très organique et crédible pour pouvoir pousser l’absurdité plus loin par la suite et être sûre que les gens suivent. Si ça ressemble à quelque chose que les gens ont déjà croisé, ils se diront que c’est possible.

(…)

Quelle a été la genèse de « Larguées » ?

C’est la productrice Stéphanie Carreras (Estrella Films), qui est venue me voir en me demandant si j’avais envie de raconter cette histoire et c’est ainsi qu’est né « Larguées ». Une de ses amies d’enfance est distributrice de films en Angleterre, elle est allée à un salon de films dans le nord de L’Europe, elle est tombée sur ce film danois ; elle a ensuite appelé son amie en lui disant qu’il fallait l’adapter et quand Stéphanie a eu ce projet entre les mains, elle me l’a proposé.

Puisqu’il s’agit d’une adaptation, est-ce que tu t’es éloigné de l’original ?

Pas mal oui, je me suis bien réapproprié le sujet. J’avais les rails de l’histoire mais ça ne se passe pas du tout dans un Club Med comme mon film mais plutôt dans un hôtel du style Movenpick. Un remake de ce film a été en Suède et c’en était la copie conforme, alors que moi je voulais vraiment y mettre ma patte.

Tu te l’es tellement bien réapproprié que tu as convaincu 800 000 spectateurs d’aller voir ou revoir ton film, dans quel état d’esprit es-tu par rapport à ce succès en salle ?  

Je suis hyper heureuse car ça me permet de continuer. C’est une agréable surprise de voir qu’autant de gens adhèrent à ton univers, surtout pour une comédie, ce qui est le genre le plus difficile qui soit : on aime ou pas. Mine de rien, un succès permet aussi d’avoir de la liberté dans l’univers que tu dépeins : à partir du moment où ce dernier est validé, les financiers te laissent t’exprimer.

Là tu es en train d’écrire ton prochain film…

Oui mais je n’en parle pas car j’ai plein d’envies, tout ce que je peux dire c’est que ce sera une comédie mais je ne peux pas encore la pitcher. Je bosse sur une série, sur un long, sur plein de choses !

En tant que réalisatrice, que penses-tu du mouvement Me too et de ce qu’il a engendré en termes de réactions ?

 Je trouve ça très bien que la parole se libère, surtout dans le milieu qui est le nôtre : que des actrices prennent la parole, au final c’est une caisse de résonance énorme, surtout pour des femmes qui sont dans des situations précaires et qui en ont le plus besoin. Elles sont des proies toutes désignées dans des métiers de la société civile. Je trouve ça très bien que tout le monde ouvre les yeux et qu’on cesse de taire la réputation d’un tel ou d’un tel : je parle du fameux « tout le monde le savait » mais on n’en disait rien. A un moment donné, il faut toujours aller dans l’extrême pour que le balancier se rétablisse et je sais que le balancier se rétablira grâce au sens commun.

Larguées est disponible sur toutes les plateformes (légales) de VOD.

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