Nicolas Briançon dans le divan

© Laura Cortès

        Nicolas le puriste shakespearien

« Nicolas, qu’est ce que ça te fait d’être celui qui rend Shakespeare accessible au grand public ? »

« (Il rit) C’est une bonne question car la presse aime bien cataloguer;  ils ont trouvé cette petite image, il faut assumer ce qu’on me colle sur le dos. Néanmoins je n’ai pas le sentiment d’être le premier ni le seul, il y a beaucoup de metteurs en scène qui ont la volonté de les porter au public le plus large. Personne d’intelligent ne peut se dire je monte Shakespeare pour moi et pour faire plaisir à ma famille. J’ai la chance, ou en tous cas le loisir, de le faire dans les théâtres privés. Ainsi, je peux toucher un public qui ne va pas dans les théâtres publics, à Bobigny, à Nanterre à la comédie Française pour voir ce qui s’y fait d’absolument extraordinaire autour de Shakespeare. Que ce soit pour des raisons de culture, ou d’autres qui m’échappent, je trouve toujours mystérieuse l’étanchéité du théâtre public et privé.

          « Je n’aime pas être considéré comme un vulgarisateur »

« Je n’aime pas être considéré comme un vulgarisateur », je trouve que ça déprécie mon travail. En revanche j’ai une approche plus anglo saxonne du cas Shakespeare, non pas en le traitant en immense génie de la littérature dramatique internationale mais en le considérant de plein pied, presque de façon fraternelle, familiale. Il me parle comme ça Shakespeare; à force de le fréquenter j’ai l’impression que c’est un peu mon copain. Mes entretiens avec lui sont assez proches, et j’ai l’impression de comprendre ce qu’il me dit. La vérité que je comprends s’en est une, je n’ai pas la prétention de croire que c’est la seule. Ceci dit, j’ai l’impression de les monter d’une façon différente au regard de ce qui se fait en France. Ici, on les monte de façon très lyrique, bouillonnante, théâtrale. Mon but c’est aussi de montrer qu’il peut être notre contemporain, qu’il est profondément moderne. Pour ce faire, il faut le jouer tout en simplicité et en clarté.

          « Shakespeare est infiniement  cinématographique »

Il est pour moi l’inventeur du scénario bien davantage que de la pièce de théâtre. On prend des scènes  en cours de route, l’une vient chevaucher l’autre, c’est une écriture qui est quasi cinématographique et d’une infinie modernité. Voilà ce que j’ai essayé de rendre, c’est sans doute prétentieux mais c’est ce sur quoi je travaille. Il y a mille Shakespeare, c’est ce que chacun peut y lire qui le définit. Je réfute l’idée d’une tragédie, nulle part figure la mention tragique. La narration même de la pièce est intéressante : dès le départ, il y a  le résultat et on nous raconte l’enchaînement des faits, c’est presque le récit d’un fait divers.

 

On est dans une violence nocturne et au milieu de ce bazar, deux êtres, deux adolescents très jeunes (14 ans pour Juliette), se croisent, se rencontrent. Is s’aiment, il créent entre eux une bulle qui est celle de l’amour. Survient l’accident de la mort de Mercutio, l’assassinat de Tybalt par Roméo, puis on bascule dans ce qui devient éminemment tragique. Or ce n’est pas une tragédie au sens grec et ancien du terme, où le Fatum les aurait pris dans un engrenage et les tiendrait très fort dans sa main. On imagine que la paix aurait pu revenir et toute la difficulté quand on entend cette pièce, c’est d’oublier tout ce qu’on sait d’elle. Je disais aux comédiens principaux, jusqu’à la mort de Mercutio, pour vous c’est le bonheur absolu. Ils devaient ressentir la joie de se toucher, de se prendre la main; sentir le bonheur de chairs qui se rencontrent pour la première fois, de deux êtres qui se regardent et qui se découvrent. C’était tout ce travail là que je voulais faire et justement, je voulais le faire sans esbroufe, sans ce falbala de pseudo théâtralité théâtrale. Je voulais une grande simplicité. Je voulais laisser faire le texte, que ce soit joué de manière concise, très moderne et très simple . Paradoxalement, j’ai repensé à la tragédie, au soleil (qui fait davantage penser à l’Italie du sud plutôt qu’à Vérone). Il y a aussi un affrontement qui est quasi mafieux même si je n’ai pas voulu souligner ce trait-là. Beaucoup de versions sous-entendaient ou explicitaient un affrontement quasi racial entre capulet et Montaigu : il y a eu des milliers de versions, juif Arabe, noir blanc…Moi je ne crois pas à cet aspect là dans Shakespeare, je crois au contraire que ces gens là sont complètement interchangeables, ce sont les mêmes en fait. C’est une Vendetta corse, on se tape dessus on ignore complètement pourquoi. C’est une espèce de haine brute.

          « Les mecs sont des héros, les filles, des putes »

Puis ça nous décrit une société patriarcale très forte où les mecs qui sortent chez eux, se battent et qui se saoulent la gueule c’est super et les filles qui désobéissent, ce sont des putes. On y trouve le mot dans le texte de Shakespeare, pas celui que j’ai retravaillé moi. Tout ça parce qu’elle dit « non je n’ai pas envie de me marier avec Paris » quand elle a 14 ans. Donc on sent tout le poids de ce patriarcat et la catastrophe auquel il aboutit. Shakespeare nous le raconte de façon extrêmement précise. Voilà ce que j’avais envie de souligner, plus que le côté cape et d’épée qui a été déjà été très bien fait, et même plus qu’une pseudo exaltation. C’est une idée qu’on a au sujet du théâtre élisabéthain car les bouffons viennent entre les scènes et à la fin de la pièce, on y danse une gigue; et ce même pour Richard III, Titus et Andronicus alors qu’il bouffe ses enfants. La méconnaissance de ce genre de théâtre est grande. Il suffit d’aller voir jouer Shakespeare à Londres, ils ont un jeu sobre et une lecture extrêmement précise. Hélas, je crains que nos spectateurs soient surpris.

Dirais-tu que Roméo et Juliette sont amoureux de l’amour et qu’ils ont soif d’un amour absolu ?

 

Leur relation ne dure que trois jours. Ils se rencontrent, ils se marient, ils couchent ensemble-j’ai essuyé un certain nombre de critiques pour l’avoir montré,  puis ils meurent. La scène de l’alouette est écrite dans le texte original, il était impensable de l’occulter. Un siècle plus tard, les auteurs classiques français n’écriront jamais de scène de sexe. jamais de héros de Corneille, ou Molière ne coucheront ensemble. (…) On m’a reproché de montrer Roméo fumer alors qu’il tue deux hommes, couche avec une jeune fille de 14 ans… mais c’est ce qui a choqué, allez comprendre.

        Nicolas l’Inspiré

« Ce n’est pas à moi de dire si je suis très inspiré ou pas, j’ai la chance de pouvoir créer mais là je vais prendre un petit break d’un an, en tous cas avec le théâtre. Je tourne Engrenages jusqu’en juillet, j’ai mon festival en juin; je mettrai en scène en décembre a priori. Tu sais, cette année, qui a été importante, j’ai fait 4 créations. Le Sade, Divina, Mensonge d’Etat et Roméo&Juliette. Ca ne fait jamais que 4 pièces par an et surtout c’est mon travail. Il y a bien de sens qui se lèvent à 8h et travaillent jusqu’à 17h, rien d’extraordinaire à ça. J’ai envie de prendre un peu de temps pour réfléchir. Je vais me de nouveau m’occuper de l’acteur, jouer quoi avec qui… Je vais prendre le temps de lire etc. J’ai un autre gros projet dans un an donc je vais essayer de bien le préparer. Je n’ai pas envie de devenir le gendre idéal des théâtres privés. Je suis tout de même assez farouchement attaché à ma liberté.

        Nicolas dans le rôle du salaud

« Tu as incarné tour à tour des personnages au fort caractère que ce soit dans Carlos (Me Vergès), Maison Close ou Engrenages, quelle connivence avec ce type de personnage ? »

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Tu  veux dire avec les enculés ? Moi ça m’amuse de les jouer, s’il n’y a pas de méchants, il n’y a pas d’histoire; ce sont des rôles pivot, des rôles charnière qui créent l’action et j’adore ça. Je ne suis pas contre le fait de jouer des gentils et je n’ai pas l’impression d’être un monstre dans la vie, mais ils aiment me donner des rôles de salauds. Peut être parce qu’on exploite ce que la mise en scène a développé chez moi, c’est-à-dire quelque chose d’analytique qui transparait dans mon jeu. Les personnages qui réfléchissent sont toujours méchants et selon un bon vieux cliché très répandu et ceux qui ne réfléchissent pas sont toujours très gentils. Il y aurait beaucoup à dire là dessus, l’amour c’est bien, la guerre c’est mal sauf que l’amour ce n’est pas toujours bien. Kundera raconte ça très bien quand il parle de la genèse de Jacques et son maître.  L’intelligence peut être un facteur d’équilibre, de tolérance et de respect de l’autre, l’amour peut parfois être un synonyme de dictature, « je t’ai donc tu es à moi, donc je te tue, donc j’envahis ton pays-cf conflit Russie-Tchecoslovaquie de 69 » (…) ce serait intéressant de montrer à quel point l’amour peut s’avérer totalitaire.

« Tu as débuté le théâtre aux côtés de Jean Marais, as-tu toujours enchaîné ou il t’a fallu être patient ? »

J’ai eu beaucoup de chance, j’ai toujours enchaîné. Je n’ai pas connu les affres du début, la patience imposée.

Ca s’appelle le talent aussi, non ?

Une demie-heure s’est écoulée et l’impression pour Nicolas, d’être passé sur le divan. Intéressant.

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