Damien Bonnard, bon mais pas débonnaire !

Damien Bonnard
Crédit photo : James Weston

Tu as commencé par les beaux arts, tu as été tour à tour pêcheur au Canada, livreur de lait en Algérie, et tant d’autres choses, ces expériences professionnelles sont-elles à l’image de tes rôles au cinéma ?

C’est un peu la raison pour laquelle j’ai fait ce métier. J’avais fait les beaux arts, et j’en suis sorti à 23 ans. Il fallait que je digère un peu ces années d’apprentissage ; je pouvais être prof d’arts mais je me trouvais trop jeune. Je ne me sentais pas d’être vraiment artiste non plus.
Je suis devenu assistant pour des artistes et avant de travailler dans la construction de maison en bois de chantier, puis assistant de direction dans laboratoire au CNRS. Dès qu’un job me semblait intéressant, j’y allais.
Il y a enfin eu coursier à Paris et c’est comme ça que j’ai un peu commencé à faire du cinéma, parce que je livrais beaucoup de productions.

En effet, ce qui me passionnait c’était d’avoir accès à des mondes, avec leurs propres codes.
Et même au CRNS, tu cherches quelque chose dont tu ne connais pas l’existence : en ça, on se rapproche de l’art.

Quand tu es coursier, tu vas un peu partout, quel que soit l’endroit ou la classe sociale. C’est à l’instar de ce que j’ai pu trouver dans le métier de comédien : plonger à chaque fois dans des vies, comprendre comment tu fonctionnes quand tu vis telle ou telle chose chose, et ce en fonction de ton propre vécu. Essayer d’approcher des existences différentes. Ça permet une grande variété, avec une certaine continuité.

Il y a des réalisateurs avec lesquels tu as envie de travailler plus que d’autres ?

Au début je courais après les monuments du cinéma, et désormais je me dis que c’est bien de travailler avec ma génération, ou des gens que je découvre complètement parce qu’ils apportent un projet.

Alain Guiraudie, tu le connaissais ?

Oui, je lui avais écrit une lettre qu’il n’a jamais eue. J’avais vu Le roi de l’évasion
et ce qui m’avait notamment touché dans le film c’était les scènes d’amour entre hommes, et j’aimais le fait de filmer des cauchemars comme des choses réelles ou la réalité comme un cauchemar. Ce qui me touche dans ce que fait Alain, c’est qu’il aborde essentiellement la solitude.

C’est Rester vertical qui t’a donné ton premier grand rôle ?

Oui, même si ça a été très long avant de savoir si le film pouvait se financer, je devenais dingue car je ne savais pas si j’étais pris, ça a duré 3 mois. Dès qu’ils ont eu l’avance sur recette, on a pu tourner. Pour un premier rôle, je me suis retrouvé à jouer des scènes complètement folles.
Le film est allé à Cannes et l’intérêt c’est que ça donne une bonne caisse de résonance au film car il peut être vu du monde entier. Pour autant, on ne m’a pas proposé des projets très costauds ensuite, ça n’a pas été immédiat. Le film suivant ça a été C’est qui cette fille ?, un film à la croisée des chemins entre comédie musicale et comédie romantique. Les références de Nathan Silver, le réalisateur, c’était Buñuel ou Polanski avec Le locataire.

Damien Bonnard
Crédit photo : James Weston

Depuis le film de Guiraudie, tu as beaucoup tourné et tu es à l’affiche de bon nombre de films à venir : Blanche comme neige, Le chant du loup, Les misérables, En liberté.

Pour en avoir vu des extraits au showeb du Film Français, peux-tu me parler de ton rôle dans le film d’Anne Fontaine, Blanche comme neige ?

Le film d’Anne Fontaine est une libre réadaptation de « Blanche Neige », et moi je joue deux des sept nains : grincheux et simplet. Il fallait qu’on puisse les confondre physiquement mais que ce soit leur caractère qui les distingue : leur manière de parler, de se tenir. Je ne pouvais pas aller dans des différences très extrêmes donc c’était quelque chose de très fin à trouver qui me faisait un peu peur. C’est très complexe de jouer deux personnes différentes. Pour m’inspirer, j »avais vu un super film de Spike Jones, Adaptation, dans lequel les jumeaux sont joués par Nicolas Cage.

Tu me disais que le personnage de Lou de Laage expérimentait plusieurs types d’amour ; avec tes personnages, quels types d’amour expérimente-t-elle ?

Elle expérimente plutôt l’amour sensuel et charnel.

C’est plutôt la putain que la mère…

L’un des deux frères que j’incarne est le premier avec qui elle va vivre quelque chose, et je suis persuadée qu’elle aurait pu rester avec le deuxième (« simplet »). Ensemble, ils auraient pu vivre une belle histoire d’amour.

Ce que t’es en train de dire aux filles de ma génération, c’est qu’il vaut mieux un simplet qu’un grincheux… ! (rires)

Et blague à part, quel est ton rôle dans Le chant des loups, d’Antonin Baudry (Quai d’Orsay) ?

Je fais un petit rôle, je joue l’un des militaires du sous-marin, parmi l’équipage de Reda Kateb. C’est un film très intéressant sur la vitesse à laquelle les choses se répandent via les médias et jusqu’où ça peut aller. Un fait totalement erroné peut se transformer en une immense affaire, et dans certains cas, on ne peut plus l’arrêter.
On s’est retrouvé à vivre une expérience inédite : on a rarement l’occasion dans sa vie d’aller dans un sous-marin, l’un des derniers plans que j’ai fait, j’étais à fleur d’eau, on allait tous rentrer dans le sous-marin et là je me suis dit, « tu ne peux pas juste prendre le temps d’apprécier l’endroit où tu trouves, parce que ça, tu ne le vivras plus jamais de ta vie ! » Parfois au cinéma, tu prends des habitudes que tu ne devrais pas prendre. Tu perds le sens de l’extraordinaire.

Pour ce qui est des films Les misérables et En liberté, tu y incarnes un flic dans les deux cas, mais bien différent…

Dans le film de Ladj (Ly, (Les misérables)), on voit beaucoup plus le quotidien d’un flic alors que dans le Salvadori (En liberté), son métier n’est qu’un prétexte pour continuer de côtoyer le personnage d’Adèle Haenel au quotidien. Je le dis dans le film : « si je suis resté là toutes ces années, c’est pour te voir ».

Je pense aussi que Pierre (Salvadori (En liberté)) s’attache à montrer ce que vit quelqu’un, et finalement, sa fonction importe moins. Alors que dans le film de Ladj, on a essayé de montrer le quotidien de la police. Ce sont vraiment deux angles très différents.

Ton personnage dans le Salvadori a très peu confiance en lui, c’est un amoureux transi qui ne vit que pour le personnage joué par Adèle Haenel.

en liberté film
Ce genre de personnages est plutôt à l’opposé de celuique tu incarnes dans C’est qui cette fille ?, sorti l’été dernier, es-tu d’accord avec ça ?

Disons que dans le film de Nathan (Silver, C’est qui cette fille ?)), je suis un peu perdu mais je ne suis pas méchant non plus…

Sauf quand tu vois les choses du point de vue féminin… (rires)

Quels sont tes prochains projets de tournage ?

Le prochain que je démarre en décembre c’est le dernier Polanski, J’accuse, autour de l’affaire Dreyfus. J’y ai un très beau rôle même si ce n’est pas un rôle principal. C’est un film qui parle de ceux qu’on ne défend pas, qu’on essaye de pousser en dehors de nos vies. J’avais déjà fait un tout petit rôle dans l’adaptation du livre de Delphine de Vigan. C’était dur car je devais tourner un mec blasé alors que j’étais très heureux de tourner avec lui, je devais cacher ma joie. C’est l’un des réalisateurs que je regarde depuis que je suis petit, et ça a commencé avec Le bal des vampires. 

Ensuite je fais un film de Dominik Moll dans lequel je vais jouer un type qui élève des troupeaux, exactement au même endroit où j’ai tourné le Guiraudie (Rester vertical), mais en hiver. Mon personnage vit tout seul. Il s’agit d’une sorte de polar où tous les gens sont reliés par une histoire. Je jouerai aux côtés de Denis Ménochet, Laure Calamy, avec qui j’avais déjà tourné Rester Vertical, Valeria Bruni Tedeschi et Bastien Bouillon. Ce sera sous forme de chapitres au cours desquels tu rentres dans la vie de chaque personnage, tu y vois comment lui a vécu cette histoire. C’est l’adaptation d’un livre qui s’appelle Seules les bêtes de Colin Niel, un jeune auteur français.

Enfin, j’ai un projet de court métrage avec Hugo Rousselin. Pour ce faire, on va partir tourner à la Réunion pour aborder toute la période post esclavage. On se mettait à tuer les esclaves après les avoir utilisés, sous prétexte qu’ils ne nous servaient plus à rien et qu’on ne les traitait pas comme des êtres humains. Je joue un chasseur d’esclaves.

Toi qui a eu un parcours fait de persévérance, qu’est-ce tu conseilles aux comédiens en devenir ?

Quand on en a envie, de forcer les portes. A mesure qu’on y croit, les choses arrivent même si elles peuvent s’arrêter demain. Il faut s’investir à chaque instant et pousser la chose de plus en plus loin ; ne jamais s’arrêter de travailler ou se mettre en situation de confort. Tu dépends beaucoup du désir des autres. Il ne faut pas non plus lasser les gens, donc trouver un juste équilibre pour ne pas être omniprésent à l’écran, surtout dans le même type de rôles. Il faut rester attentif, aussi. Mais le meilleur conseil, c’est de penser que dans le pire des cas, on te dira non, et que ce n’est pas grave. C’est un métier où il faut s’amuser avant toute chose.

 

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