Entretien II : Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière

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alexandre de la patellière matthieu delaporte

II. LES SUCCES

Lucie : Quel a été le point de départ du prénom ? (la pièce, donc).

Matthieu Delaporte : On n’avait jamais écrit de théâtre, mais beaucoup de scénari pour les autres. On était dans un moment où on se posait beaucoup de questions sur ce qu’on avait envie de faire, car on avait l’impression d’avoir perdu le fil de notre indépendance. On nous proposait du boulot, on était bien payés mais on se donnait énormément de mal sur des films qui, au final, ne ressemblaient plus à ce qu’on avait écrit car le film repassait dans différentes mains.

Alexandre a deux filles et moi j’ai 3 fils, Neige et Cassiopée pour les siennes et Bartolomé, Taddeo et Artemus pour les miens. On part souvent en vacances ensemble, et un été on se disait que les gens faisaient constamment des remarques sur les prénoms. Et un jour je dis à Alex, « Il y a quand même quelque chose à faire sur ce sujet car on a donné des prénoms originaux à nos enfants, et pour autant, lorsque les gens sont surpris-ce qui est normal, ça nous énerve. » Et nous mêmes, lorsque des gens donnent des prénoms originaux aux leurs, ça nous énerve. Or, on ne trouve pas ça ridicule pour les nôtres. A la base on avait écrit le scénario original avec une lettre de l’alphabet, et c’était un peu anecdotique, puis un matin Alex me dit « Et si on mettait Adolf ? »

 Alexandre : On s’est rendus compte que, ne serait ce que parce que le designer Philippe Starck avait appelé sa fille « K »,  (la lettre donc), on était rattrapés par le réel. Le danger, c’était que ça « boboïsait » le film. C’était trop marqué dans l’époque.

M : Oui, puis c’était trop tautologique ; en somme, ça ne parlait que du sujet lui-même. Tu fais un film sur le prénom, et pour cette raison, ça ne devait parler que du prénom. C’est d’ailleurs ce qu’on peut reprocher à certains films ou pièces.

A : On avait également envie d’écrire sur la famille, sur nos milieux, sur nos potes, sur nous. On est hyper bavards avec Matthieu, on aime avoir des conversations absurdes en poussant à l’extrême la mauvaise foi. Donc on trouvait que ce sujet là était universel car tout le monde a un prénom. On est tous l’enfant de quelqu’un, même si on n’est pas tous des pères. Donc il y avait un point d’accroche assez fou, et comme toujours quand on a de telles idées, on se demande comment se fait il que personne ne l’ait eue avant nous.

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Le Prénom, Patrick Bruel, Guillaume de Toncquedec, Charles Berling

C’était pour nous une sorte de « back to the basics », nous l’avons écrite pour nous, pour le désir d’écrire, presque pour la mettre dans un tiroir (…) On ne l’avait pas écrite pour des acteurs, on n’avait rien de cette culture. Lorsqu’on l’a présentée à notre agent (Isabelle de La Patellière) ça lui a beaucoup plu et là a commencé une sorte de cercle vertueux. Du premier jour où on a écrit, jusqu’à aujourd’hui, tout s’est bien passé. Ce fut simple.

(…) 

L : Pour Un Dîner d’Adieu, j’ai la même question, à la différence près que la pièce me fait penser à une autre que j’ai vue la saison dernière : La Société des Loisirs, adaptée par Philippe Caroit, avec Cristiana Réali & lui.

 A : En début d’année, des patrons de théâtre de province et des tourneurs nous en ont parlé, juste avant les premières représentations. Donc on a été voir le sujet à ce moment là, mais on ne la connaissait pas.

 M : On ne l’avait pas vue quand elle sortie ni ensuite pour ne pas nous « mettre l’oeil ». Lorsqu’on nous a dit « Vous ne trouvez pas que ça ressemble à la Société des loisirs ? », il y a eu un grand moment de gêne, car on ne connaissait pas, mais on ne nous en a pas reparlé ensuite.

 A : Un dîner d’adieu c’est un peu comme « le prénom », même si le cheminement est un peu différent, il y a beaucoup de vécu dans le prénom et également dans un dîner d’adieu. Disons que c’est basé sur des faits réels. 

 Matthieu corrige : Inspiré de faits réels, on ne fait pas de dîners d’adieu à nos amis.

 A :  Mais on ne dit pas que nous n’avons pas certains amis qui ne l’ont pas pratiqué (hum).

L : Pourquoi avoir voulu changer de genre avec Un illustre inconnu parce que ça n’a rien à voir avec vos oeuvres passées ?

: C’est une très bonne question à laquelle je n’ai pas complètement la réponse.

A : Le vrai plaisir de notre métier c’est que lorsque tu as le goût des histoires tu peux vivre plein de vies avec tes personnages. Nous on s’intéresse à des choses très différentes, alors même si on aime beaucoup la comédie car c’est notre univers il y a un immense plaisir à aller vers des chemins nouveaux. C’est un projet que Matthieu a porté pendant longtemps, il avait envie de travailler autour de l’identité. Lorsque tu commences à travailler sur de la fiction, tu sais assez peu où cela va mener, c’est ensuite que les histoires prennent corps. Les gens s’en rendent d’ailleurs assez peu compte. Mais on ne décrète pas qu’on va écrire une comédie et qu’il faut alors un sujet drôle. Il y a des sujets qui nous trottent dans la tête, qui commencent à prendre forme et vont vers un genre ou une émotion particulière. (..) On n’a pas envie de s’enfermer dans un style. 

 MIl y a un parallèle entre les histoires tout court et les histoires d’amour : tu ne décrètes pas de tomber amoureux, tu peux être dans un état où tu es plus réceptif à l’état amoureux, et des années plus tard tu te rends compte que (..) tu rencontres souvent un certain type de femmes qui se ressemblent ou au contraire ne se ressemblent pas. Le parallèle peut être établi avec les histoires. Qu’est ce qui fait qu’à un moment donné tu tombes amoureux d’une histoire, qu’elle t’obsède, que tu ne penses plus qu’à ça, que c’est ce que tu as envie de faire et pas autre chose ? Au fond, c’est assez mystérieux. (…) Ce qui est vrai aussi, c’est que par ta nature, tu es porté à faire des choses qui sont d’une même veine. A titre de comparaison, si tu aimes les petites brunes piquantes d’un mètre 60, il est rare que tu sois tourné vers des grandes blondes d’un mètre 80, mais parfois tu peux flasher sur ce genre de filles qui n’est pas le tien à la base. Et tu es surpris toi même. La fiction, c’est tout cela. Le sujet d’Un Illustre Inconnu m’intéressait beaucoup : qu’est ce que l’identité ? La fameuse injonction de Nietzsche nous somme d’être nous-même, mais qu’est ce qu’être nous même ? Qu’est ce que ça veut dire être soi, qu’est ce que ça veut dire d’avoir quelque chose de spécifique par rapport aux autres d’autant qu’on est tous pareils ? Pourquoi, lorsqu’on lit un roman des années 50 d’un auteur californien de 70 ans, on a le sentiment d’avoir une proximité intellectuelle avec lui hyper forte ?

 ALes sujets se mêlent aussi à des envies de cinéma, sur un sujet assez psychologique, on se référera à des univers anglo saxons, à du thriller. Je pense que ça a été un plaisir pour Matthieu d’abord et pour nous ensuite, de rêver à une histoire qui avait cette exigence cinématographique. Elle permettait à la caméra de filmer des décors, de penser le visuel d’un film et d’aller vers des terrains inexplorés. (…)

A : Cependant, les niveaux d’exigence sont les mêmes. Je sais qu’on met autant d’amour et de névrose dans Papa ou maman, Le prénom ou Un illustre inconnu, à des degrés divers de notre implication dans les projets. Quand tu écris, produis, réalise un film, tu sais que tu te lances dans 3 ans de travail acharné, qu’il faut vraiment être amoureux de ton sujet pour le porter, sinon c’est trop douloureux.

matthieu delaporte, alexandre de la patellière
Crédit Photo : Best Image

J’avoue qu’à ce jour, je ne sais toujours pas quoi penser d’un Illustre Inconnu (avec Mathieu Kassovitz donc) Alexandre réplique qu’il s’agit là d’un objet difficile à prendre. Matthieu, lui, ne trouve pas le projet si étrange. Il ajoute qu’il est très dommage de n’avoir qu’une vie, mais très compliqué d’en avoir plusieurs. Très juste. 

M : C’est difficile de rester sur une seule route, il y a un moment quand tu as l’impression (…) que le chemin restant est plus court que celui que tu as parcouru, tu te poses beaucoup de questions. C’est le middle age crisis. Et même si c’est banal, ça ne nous réconforte pas pour autant

A : Parce que ces choses là sont très répandues, tu penses qu’elles sont banalisées. Or, elles sont très intimes et touchent à des choses essentielles de ce qu’est notre vie, et jusqu’à preuve du contraire on n’en a qu’une. C’est le roman de chacun et c’est très intéressant d’être confronté à quelque chose dont on te dit qu’elle va arriver d’une certaine manière et tu ne t’en rends compte que lorsque tu es au centre, lorsque ça n’est plus intellectuel mais que ça devient sensitif.

M : Quelque chose devient banal à partir du moment où plusieurs personnes le vivent. C’est comme être triste après la mort d’un proche, c’est très banal, mais tu as beau te dire que des millions de personnes l’ont vécue, ça ne t’aide pas.

A : D’ailleurs le mot est faux, on devrait dire « courant », pas banal.

M : Je pense malgré tout, l’écriture a quelque chose de thérapeutique. Tu t’attaques à des choses qui te font rire, qui te font peur, ça touche à quelque chose de très intime. Il se trouve qu’on a grandi dans des familles nombreuses, très politisées, et Le prénom aborde ça. On a un fonctionnement nous même assez tribal. (…) On fait nos films avec les mêmes gens : on a un fonctionnement basé sur l’entraide. On est assez à l’aise avec le partage, on a l’impression que ça nous apporte des choses plutôt que ça nous en retire.

Puis, il y a la gestion du conflit, qu’il faut maîtriser. Papa ou Maman ça nous a parlé car on a 40 ans, des familles : on sait ce que c’est de s’engueuler, se mettre ensemble ou se séparer. On a expérimenté tout cela (…) Et par ailleurs, on a des vies enfantines car on a une liberté assez folle . On demande à nos enfants d’être scolaire, d’avoir des vies en somme beaucoup plus conformistes que les nôtres. Eux, ils ont envie de faire comme nous, mais nous avant de faire ça, on a fait autre chose et c’est ce qu’on leur explique constamment. (…) Lorsque je vais aux réunions parents prof, j’ai naturellement envie de me mettre du côté des élèves. Je rentre dans un lycée comme dans un hôpital.

A :  Moi quand je vais au lycée pour ce type de réunions, j’ai peur qu’ils me gardent. C’est vraiment une angoisse physique. Cela me renvoie à un monde d’adulte, qui pour moi est un mystère. C’est génial ce qu’on fait, on se le dit tous les jours, on a une chance inouïe. On pense avoir beaucoup de défaut, mais on n’est pas blasés. (…) Dans ce genre de métier, on passe son temps à courir après des choses inaccessibles tout en le sachant. On a un fonctionnement à deux qui est une sorte de psychanalyse quotidienne qui nous aide à ne pas devenir fou, c’est une arme redoutable contre la solitude et la névrose. Nos métiers nous permettent aussi de mettre de l’intelligence et du plaisir dans tout cela. Même si nous pouvons être des hommes très équilibrés, lorsqu’on rencontre des problèmes ou que l’on se pose des questions, pouvoir écrire des choses qui font rire les autres, c’est tout de même une chance extraordinaire. (S’ensuit une petite discussion avec Matthieu puis Alexandre sur le rôle de parent, passionnante, je vous la raconterai en privé pour ceux que ça intéresse). 

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L : Dans Papa ou maman, que j’ai vu 3 fois au cinéma, j’ai adoré le moment où L. Lafitte offre une pierrade à son fils de 6 ans.

: On a pensé qu’il lui fallait le costume le plus débile possible, mais offrir un costume de fées à son fils, c’était du déjà vu et trop convenu.

A : On a vu aussi qu’il y avait des kits de taxidermie pour les enfants (…)

 M : Oui comme ça il pouvait jouer avec son hamster mais il fallait 3 secondes pour que ça devienne drôle.

A : Donc, on en a déduit qu’il fallait que ce soit de l’électroménager car c’était proprement absurde pour faire un cadeau à un enfant.

M : On a cherché avec Laurent (Lafitte, ndr) et je crois que c’est lui qui a eu l’idée de la pierrade.

L : Donc là actuellement, le film est en VOD

A : Oui et comme il a très bien marché, on pense que sa vie en VOD sera très forte.

ll avait raison car Papa ou Maman est premier des ventes sur iTunes dès la 1ère semaine. 

Vos projets ?

A : Tu seras contente d’apprendre qu’on est en train d’écrire la suite de Papa et maman ! On  ne dévoilera rien en revanche.

M : On ne peut rien te dire pour la simple et bonne raison que les acteurs ne savent rien. On leur garde la primeur, par correction pour nos chers petits protégés.

A : On espère tourner début 2016

M : On a déjà pas mal écrit, on est assez contents, et on pense que ceux qui ont aimé le premier devraient apprécier de retrouver les personnages.

Ils auront au moins une spectatrice (dixit Matthieu), un peu plus (pensai-je alors).

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