Tout le monde aime Jeanne…moi y compris

Film Blanche Gardin

Premier long métrage de Céline Devaux, présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, ce film est sans doute la comédie de la rentrée. Mêlant les genres, alternant entre le drame et la comédie pure, la réalisatrice relève haut la main le défi d’un premier film réussi.

Le synopsis ? Jeanne (Blanche Gardin) est surendettée à la suite de la faillite d’un projet professionnel destiné à sauver la planète. Acculée, elle se voit contrainte de vendre l’appartement de sa mère à Lisbonne, morte un an auparavant. A l’aéroport, elle tombe sur Jean (Laurent Lafitte), un ancien camarade de lycée totalement loufoque et quelque peu envahissant.

L’univers de Jeanne

Jeanne c’est avant tout une voix off, celle de la réalisatrice elle-même, qui prend l’apparence d’un fantôme aux cheveux longs animé. Ce fantôme c’est la voix intérieure de Jeanne, faite d’inquiétude, de jugements, de décisions contradictoires. D’aucuns trouveraient ça agaçant, en réalité le charme est indéniable. Voilée, la voix de Céline Devaux, apporte une grande fraîcheur à l’ensemble.

Ce petit fantôme a dû venir d’un rêve… C’est une créature chevelue, ni homme ni femme, qui harcèle Jeanne toute la journée. Une sorte de représentation de la honte. C’est aussi la mémoire de toutes les voix entendues qui s’accumulent dans le cerveau de Jeanne. (Céline Devaux, réalisatrice).

Portée par une Blanche Gardin radieuse, Jeanne est une femme à la fois dépressive et incroyablement combative. Célibataire, orpheline, mais pas totalement seule car très proche de son frère incarné par Maxence Tual, frère plus posé, avec un enfant et un chien, kiné de profession.

Parce que notre protagoniste a fait faillite personnellement en tentant, à son niveau, de sauver la planète à travers un projet écologique sous-marin qui avait fait d’elle une héroïne, le film questionne évidemment en filigrane la part d’égo dans des projets aussi altruistes et universels. Ce qui est proprement touchant dans le personnage de Jeanne, c’est la prise de conscience lente et progressive de son état dépressif. Elle réalise peu à peur que sa mère est morte il y a un an et qu’elle n’en n’a pas véritablement fait le deuil. D’ailleurs, sa mère (Marthe Keller) apparaît elle aussi sous la forme d’un fantôme. Là encore, le film pose la question de cette injonction au bonheur.

L’angoisse a un effet particulièrement diabolique : elle nous prive de nos sens. On ne voit plus le beau, on ne sent plus la joie. C’est un système de vide, de glissement de la réalité. Et la splendeur extérieure d’un lieu, si on ne la ressent pas, ne fait que confirmer ce vide intérieur. (Céline Devaux)

 

L’univers de Jean

Avec Jeanne, Jean forme la paire. Iconoclaste à la manière d’un Vincent Macaigne, le personnage est incarné par un Laurent Lafitte qu’on arrive même à trouver (presque) moche.

Jean est un peu la personne que j’aimerais être moi-même. Il est libre, il admet sans détours que la vie c’est difficile, que travailler c’est pas son truc, il parle de ses problèmes mentaux sans aucun complexe ni aucune honte. Il n’a pas peur, contrairement à Jeanne qui a peur de tout. (Céline Devaux)

Si Jeanne et Jean sont aussi complémentaires, c’est aussi pour toutes ces raisons. Leur relation est indéfinissable, pleine de tendresse, alors même que Jeanne voit épisodiquement LE beau gosse lusitanien (Nuno Lopes, le bellâtre d’une Fille Facile de Zlotowski), un jeune papa qui aime bien tromper sa femme (comme c’est étonnant !)

Crédit photo : Jérôme Prebois (Diaphana Distribution)
Crédit photo : Jérôme Prebois (Diaphana Distribution)

L’univers lisboète

La majeure partie du film se déroule dans la capitale portugaise. Ce qu’on voit de la ville, ce n’est pas l’effet carte postale de cette destination que tout le monde s’arrache. Le décor est planté dans un Lisbonne qui ne ferait pas rêver les instagrameurs.euses. D’ailleurs, il n’est pas question de se dorer la pilule au soleil, Jeanne est là pour vider l’appartement de sa défunte mère, en deuil malgré elle, sa (non) couleur affichée est le noir, quelle que soit la météo.

Enfin, on tombe sur un film français qu’on n’a pas déjà vu une vingtaine de fois (pour rester modeste). Vous l’aurez saisi, on est loin des clichés de la fameuse rom com.

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