La société des loisirs, un portrait au vitriol

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Le stéréotype du couple parfait

Marc et Marie (Philippe Caroit et Cristiana Réali) incarnent le couple idéal, fondé sur le modèle que produit la société. Ils sont quadragénaires, mariés, un enfant (bientôt deux). Ils sont beaux aux yeux bleus, incarnant la réussite sociale par excellence. Comme tous les gens qui ont réussi-ou presque, ils travaillent beaucoup et manquent de temps pour leurs loisirs, leurs amis aussi. Quand s’est posée la question du deuxième enfant (parce que la société n’aime guère les enfants uniques), ils ont décidé d’adopter « pour faire venir le bénévolat à la maison ». La société des loisirs c’est avant tout une pièce cynique et grinçante sur la société actuelle et ses modes de fonctionnement, souvent contradictoires.

Une pièce délicieusement cynique

La pièce s’avère politiquement incorrecte dès les premières répliques. Lorsque Marie et Marc sont interrogés sur l’origine de la petite fille qu’ils essayent d’adopter, Marie évoque la nationalité chinoise parce qu’ils ont souvent vus des petites chinoises gagner des concours de piano, or, ils ont un piano. Le couple ne sait pas en jouer, d’ailleurs il n’a pas le temps d’apprendre. Une petite chinoise serait donc parfait pour faire usage de ce piano qui ne sert que de décor. Les apparences, voilà un thème central abordé par la pièce. Si Marie et Marc incarnent la réussite c’est avant tout par l’aspect matériel.

Une crise d’identité

Ce que dénonce cette pièce, c’est le piège des modèles imposés et des dérives qu’il entraîne. Marc et Marie sont prisonniers des idéaux consuméristes véhiculés par la société. Au fond ils traversent une profonde crise identitaire et manquent cruellement de personnalité. Contrairement à la plupart des gens, ils ne manquent pas de repères, ils en souffrent. Concrètement, ils achètent un piano parce que ça égaye leur salon (mais aucun d’eux ne sait en jouer), ils ont un home cinéma mais ne regardent pas de film, faute de temps et ils ont eu un enfant parce que la société l’impose dans son schéma traditionnel. Ils sont devenus parents sans la moindre envie et leur bébé pleurnichard semble un fardeau, plus qu’une joie. Leur mode de vie, en inadéquation avec leurs goûts propres les a conduit à une vie profondément frustrante.

philippe caroit et christina réali

Des personnages malheureux

 À trop vouloir s’imposer une conduite, Marc et Marie ne connaissent plus leurs goûts réels. Ils ont cherché la recette du bonheur dans les magazines et se sont oubliés eux-mêmes. Résultat, ils sont malheureux malgré un train de vie enviable. L’envie, ils la cherchent sans parvenir à la trouver lorsqu’un soir, ils invitent un ami, Antoine (Pierre Cassignard qui reprend le rôle de Stéphane Guillon). Cet ami dont ils essayent de se débarrasser, faute de temps et d’affinités surtout, leur ouvrira un champ de possibles en matière de désir. Renouant avec leurs envies, Marc et Marie feront des découvertes surprenantes. Le personnage d’Antoine, haut en couleurs, n’est pas en reste quant aux schémas imposés par la société consumériste. Si ses faibles moyens financiers ne lui permettent pas des excès matériels, il profite à l’envi de la chair et du vin. La chair fraîche, de préférence, son amie de cul comme il aime le dire a 20 ans de moins que lui. Affichant une  liberté désinvolte, Anne (Lison Pennec) semble la plus équilibrée des 4 personnages. Elle fait ce dont elle a envie, ne s’oppose rien et n’est pas prisonnière des diktats imposés. Au fond, c’est bien elle la plus heureuse puisque libre.

Un jeu d’acteur convaincant

Les quatre comédiens réunis sur scène livrent une performance scénique incroyablement énergique. Cristiana Réali détonne par un jeu pêchu, oscillant entre abattement et euphorie. Philippe Caroit est également très habité par son personnage et incarne avec beaucoup d’aisance cet homme idéal aux fêlures apparentes. Pierre Cassignard dont c’était la première représentation était très à l’aise dans la peau du vieux beau quadragénaire qui se découvre hédoniste après un mariage raté. Quant à Lison Pennec, elle joue une jeune femme au fort caractère, moins dans la séduction que son rôle pourrait supposer. Énergiques et généreux, ces quatre comédiens le sont tous dans leur jeu.

Une pièce très contemporaine dont on ne se lasse pas.

Une pièce de François Archambault adaptée par Philippe Caroit, Mise en Scène de Stéphane Hillel. Production Arts Live.
En tournée d’octobre 2014 à janvier 2015.

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