Télérama Dialogue 2019 : portrait de Sylvie Pialat, productrice

Télérama Dialogue 2019

Sur la scène du Théâtre du Rond-Point ce lundi 23 septembre dernier, elle a mis tout le monde d’accord. Charisme, humour et décontraction, Sylvie Pialat a donné le ton du haut de son jeu de jambes qui n’était pas sans rappeler celui de Sharon Stone, à l’époque du célèbre Basic Instinct. Scène en hauteur, elle a elle-même cité la référence, l’air amusé. Quoi qu’il en soit, la productrice qui a su se faire un prénom malgré l’héritage de son nom, nous a donné une belle leçon de production, une belle leçon de détermination aussi, surtout.

Comme Jacques Morice l’introduit, Sylvie Pialat c’est une quarantaine de films produits en 15 ans. Mais elle est aussi une formidable scénariste aux côtés de son défunt mari, Maurice Pialat -faut-il le préciser. Littéraire par nature, Sylvie visait  Normale Sup à travers Khâgne-Hypokhâgne mais vers c’est le cinéma qu’elle s’est tournée via des stages en régie et autres. Comme l’a dit J. Morice, non sans anaphore, « tant pis pour la littérature, tant mieux pour le cinéma, tant mieux pour nous ».

Mais ce soir-là, c’est véritablement la productrice, l’amatrice de talents cachés ou affirmés qui s’exprimait et nous donnait une belle leçon.

La naissance de Les Films du Worso

Sylvie Pialat a fondé « Les Films du Worso » en 2003, année de la mort de Maurice, qui doivent son nom aux fêtes peules au Tchad durant lesquelles les femmes choisissent leur homme pour un soir. Tout cela est parfaitement à l’image de la femme, indissociable de la productrice à travers la notion de choix mais aussi celle de porter des projets, des hommes de cinéma. Pour illustrer qui est Sylvie Pialat, J. Morice cite Jean Labadie, directeur général du Pacte, société de distribution qui a porté bon nombre des films du Worso.

« Sylvie Pialat n’est pas une femme d’affaires mais une femme de films » (J. Labadie)

Producteur, un métier encore méconnu

 Pour autant, nombre de gens pensent que producteur n’est pas un métier sous prétexte qu’on ne sait pas ce en quoi il consiste, ce contre quoi milite Sylvie, bien entendu. D’ailleurs, « beaucoup de gens pensent que les producteurs mettent eux-mêmes l’argent dans les films ». Tant de préjugés sur ce métier… « Je ne comprends pas le fantasme qui consiste à produire… ».

Selon elle, « il faut développer beaucoup pour produire un peu » ; en ce sens, « il est capital de payer l’écriture ». Le script revêt alors une importance capitale. Le film, c’est d’abord l’écriture.

Etre producteur, c’est aussi « travailler avec des réalisateurs à qui on fait croire qu’il n’y a qu’eux au monde. »

La  bonne attitude pour faire ce métier, selon Sylvie, « c’est de le considérer comme un hobby : nous avons une chance folle de faire ce métier ». 

« Evidemment, il faut de l’alan et de la joie pour faire passer son propre enthousiasme sur le projet à quelqu’un qui en manifeste moins. « Je ne vais pas aller chercher de l’argent en faisant pitié », s’amuse Sylvie. Mais le cliché ridicule du producteur au gros cigare et à la grosse voiture est lui, totalement éculé.

Productrice, une différence ?

Aucune, Sylvie Pialat n’a pas aimé cette question- à juste titre, de Jacques Morice.

« Je ne peux pas dire que j’ai souffert d’être une femme dans ce métier ».

« Certes, on n’était pas nombreuses il y a 15 ans on l’est encore peu mais des femmes arrivent dans ce métier », 50/50 20/20 n’y est pas pour rien…

« Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir moins d’argent pour produire une femme réalisatrice.

Je ne trouve pas non plus que ce soit dans le cinéma qu’on a de gros problèmes ;

 je préfère être la voix de celles qui ont des problèmes plus graves que les nôtres. »

 

Retour sur les films produits et les succès

 

Une fois la société de production lancée à travers le documentaire précédemment cité, tout commence avec Meurtrières de  Patrick Grandperret, qu’elle est allée chercher, puis La faute à Fidel, de Julie Gavras, qui elle, pour échapper à sa famille, est venue se faire produire chez Sylvie Pialat. Elle produit Guiraudie sur les conseils de Frédéric Bonnaud, sort alors Le roi de l’évasion. 

Le succès arrive avec Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, qui rafle tous les César et poursuit sa route aux Oscars. Selon sa productrice, « le succès, ça ne peut nous arriver qu’avec des films comme ça, lorsque c’est totalement imprévu : plutôt avec un bon film sur lequel personne n’aurait parié »  Ce film est d’ailleurs le plus parfait exemple de ce qu’est le métier : normalement avec un succès comme celui-ci, vous devez bien gagner votre vie, or il faut enchaîner les films pour cela : il y a une distinction entre avoir de l’argent pour faire des films et en avoir pour faire fonctionner la boîte…

Il y eut ensuite L’inconnu du Lac, Guiraudie toujours. Les César, le triomphe, la naissance d’un acteur, Pierre Deladonchamps.

Le paysage actuel : une profusion de films, voire une boulimie ?

 

« Le problème n’est pas qu’il y a trop de films mais qu’il y a de moins en moins de spectateurs pour nos films », car certes « les gens vont beaucoup au cinéma, mais peu voir des films d’auteur ».

On se retrouve confrontés pour ce genre de films, à un public vieillissant pour lequel la succession n’est pas évidente. Lorsqu’elle produit Les gardiennes de Xavier Beauvois, le film a fait plus de 550 000 entrées, ce qui est tout à fait louable.  « Le public un peu vieillissant nous est précieux, car il est allé toute sa vie au cinéma en somme ; le problème est que désormais on est face à un public qui n’a pas été addict assez jeune à la salle. »

« Aujourd’hui, le temps du bouche-à-oreille sur un film français, ça n’existe quasiment plus. »

« Ce métier est totalement siphonné par les plateformes. Exemple, « Amazon achète Les misérables, qui est un film que je connais bien puisque les deux producteurs viennent de chez moi. Le film est acheté par Amazon uniquement pour les US. Or lorsqu’Amazon prend le monde sauf la France et le Benelux, que peut faire alors  le vendeur qui vous donnait jusque-là 200 000 euros ? »

« Les plateformes c’est surtout les séries à l’exception de Cuarón ou Scorsese. Or, comment faire sortir des gens qui ont tout ça chez eux ? Sans bouger de chez soi, la proposition est assez forte.

Pourquoi veut-tu que quelqu’un lève son cul de son canapé pour aller voir ton film ?

La vraie question à se poser c’est quels films on fait et pour qui ? »

On peut de nouveau s’autoriser des sujets très originaux, qui n’ont pas un sex appeal fou a priori, ce qui est une véritable opportunité, cf le succès de Petit Paysan.

Ce que Sylvie préconise ? Avoir du discernement sur ceux qui travaillent bien.

« Je ne pense pas que les bons vont rester les mauvais et que les mauvais vont disparaître : il n’y aura pas de darwinisme. En revanche, les bons vont devoir prendre des risques au-dessus de leurs moyens… »

 

Pour retrouver l’entretien en intégralité et les questions-réponses avec le public :

 

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